Utopsy
Clinique et politique

Accueil > Séminaires > Patrick Coupechoux

Patrick Coupechoux

lundi 10 novembre 2014

Nous accueillons, le lundi 24 novembre à 20h30 au 27 rue des Bluets (Métro Ménilmontant ou Père Lachaise, entrée libre et gratuite),

Patrick Coupechoux, journaliste, collaborateur du Monde Diplomatique autour de son dernier ouvrage Un homme comme vous Essai sur l’humanité de la folie, édité au Seuil cette année.

Ce livre s’inscrit dans la continuité de ses deux précédents ouvrages Un monde de fou et La déprime des opprimés, écrits quelques années plus tôt. Fruits d’une investigation fouillée et de rencontres à travers la France, ceux-ci portaient sur la situation de la folie en France et la « souffrance au travail ». Patrick Coupechoux y dépliait le lien entre le développement d’une politique de santé mentale, sous la férule de la rationalité néolibérale qui entérine l’individualisation et l’intériorisation des problèmes sociaux, et la négation de la dimension humaine de la folie.

A nouveau, les questions de l’accueil de la folie et du soin sont ici étroitement étudiées à l’aune des principes ségrégatifs. Patrick Coupechoux revient, dans un premier temps dans son livre, sur l’histoire de la psychiatrie aliéniste, puis il s’intéresse à la période « désaliéniste » qui s’inaugure pendant la résistance en Lozère, à Saint-Alban. De la rencontre entre des psychiatres tels que François Tosquelles, Lucien Bonnafé, des poètes (Tristan Tzara, Paul Eluard) émergent de nouvelles pratiques : ce moment d’élaboration donne lieu aux mouvements de psychothérapie institutionnelle et du désaliénisme.

Cet ouvrage nous donne à voir que ce n’est que dans son envers critique, en contrepoint, que la psychiatrie fait part à la dimension existentielle de la folie et se fait lieu d’adresse du symptôme comme construction singulière. Ce n’est que dans son nouage avec le travail de la culture et dans son ancrage politique qu’elle travaille à détruire les murs que la société a érigés pour exclure ou abandonner ceux qui dérogent à la rationalité dominante. Patrick Coupechoux déplie les modalités selon lesquelles les mouvements de psychiatrie critique, toujours minoritaires, se sont construits contre-tout-contre l’aliénation inhérente à tout ordre institué, psychiatrique ou social.

La question qui traverse le livre est celle de comment permettre aux fous de vivre parmi les hommes, celle de l’appartenance de la folie à l’humanité. Patrick Coupechoux décrit la mise en oeuvre de ce travail de guérison à travers plusieurs expériences : Benedetti, Oury, Bonnafé traversent son récit et s’attellent, de manière différente et singulière, à créer un espace vivable, habitable, à construire un paysage commun dans lequel il est possible de circuler librement. Bonnafé écrit : "Si la tradition aliéniste fonctionne nécessairement en instrument de la puissance publique la plus éloignée du public concerné, c’est-à-dire, en fait, de l’Etat, le mouvement désaliéniste ne peut s’épanouir que dans et par l’application du principe de donner le maximum d’initiatives, de responsabilité, de participation au fonctionnement quotidien des services, aux représentants les plus proximaux, les plus directement responsables des usagers. Ainsi, les besoins de diversité, de plasticité, d’inscription dans les caractéristiques de la desserte selon les temps et les lieux (...) auront-ils le maximum de chances d’être satisfaits, à l’encontre des traditions de l’Etat autoritaire et dominateur, tendant à parachuter sur tout le champ de sa puissance le modèle imposé par le pouvoir suprême."

Les débats très importants qui traversaient la psychiatrie il y a 50 ans ont aujourd’hui disparu. Les politiques actuelles s’articulent de manière univoque à une vision naturaliste de la maladie mentale assimilée à des dysfonctionnements cérébraux. L’Etat se fait omniscient et arbitre, sous l’égide d’un discours qui se prévaut de scientificité, ce qui serait thérapeutique ou pas. Un de ses organes, la HAS, vient étrangler et tente de délégitimer les orientations se centrant sur la psychanalyse ou la psychothérapie institutionnelle. En lien avec cette évolution, cette année la parution des livres La santé mentale. Vers un bonheur sous contrôle de Mathieu Bellahsen, et Commun de Pierre Dardot et Christian Laval nous donnent matière à interroger l’inscription de la santé mentale comme nouveau paradigme et/ou comme point de cristallisation du renouvellement de la dialectique entre le mandat social auquel le psychiatre se voit assigné et l’accueil du symptôme dans sa dimension de souffrance, mais aussi comme expression d’un insu et levier d’ouverture des possibles. Aujourd’hui, la liberté du consommateur de soin serait de choisir son « panier de soin », de nouer un contrat avec le médecin : il s’agirait de se conformer à un parcours balisé, où les moyens et les objectifs sont prédéfinis, pour devenir cet individu autonome qui se dévoue à l’optimisation de son capital santé mentale. Quant à celui qui ne peut troquer sa souffrance contre ce simulacre de guérison, il sera étroitement surveillé en toute transparence au sein d’un maillage territorial serré, ou abandonné si sa folie se fait silencieuse. Face à cette contrainte qui se diffuse, fédérer des expériences des différents lieux associatifs, public et du libéral en y invitant les psychanalystes est une manière de construire des architectures alternatives, plurielles qui contrastent avec les blocs uniformes et hygiénistes qui s’imposent du dehors. A ces résistances qui se déploient dans leurs contrastes, dans les nouvelles formes que nous inventons localement, en situation, il est nécessaire d’associer une réflexion autour des expériences psychiatriques passées édifiées contre la psychiatrie asilaire.

Aussi, pour situer avec précision le déplacement des coordonnées des modalités d’exercice du pouvoir de l’institution et du psychiatre sur le patient, et par là y objecter et s’y attaquer, il importe d’étudier la manière dont cette mise en question radicale s’est incarnée dans le courant désaliéniste.

Les conflits et débats, aujourd’hui mortifiés, participent de la vitalité de la psychiatrie. Dans cette perspective nous avons demandé à Patrick Coupechoux de nous parler de plusieurs controverses qui se sont déployées lors du mouvement décentralisateur d’après-guerre qui œuvre à la transformation des conditions d’accueil de la folie et s’associe au développement de la psychanalyse dans les institutions sous des formes hétérogènes. Les rencontres de Bonneval dans les années 1940, où se réunissent notamment Henri Ey, Lucien Bonnafé, Sven Follin et Jacques Lacan, s’inscrivent par exemple en rupture avec toute idée d’une psychiatrie harmonieuse qui totaliserait les différentes approches selon le concept de pluridisciplinarité actuellement plébiscité. Plus tard, le groupe de Sèvres et le GTPSI sont le lieu de débats et d’élaborations théoriques concernant les figures du transfert, tels qu’Olivier Apprill nous en avait parlé à partir de son livre Une avant-garde psychiatrique, le moment GTPSI (1960 -1966). Cette hétérogénéité des pratiques, dont l’absence de garantie est le prix et la condition pour desserrer la contrainte (contrainte externe provenant d’une homogénéisation et pasteurisation des pratiques, mais aussi, parfois, contrainte interne via la promotion d’un modèle idéal orienté par une théorie aux prétentions d’hégémonie), nous semble œuvrer à la conquête d’un creux, d’un espace commun propre à accueillir les trajectoires de parole des uns et des autres et l’hétérogène de la folie.

Alexandra de Séguin, pour Utopsy

www.utopsy.fr
utopsys@yahoo.fr

Pour recevoir des informations sur les prochaines rencontres, vous pouvez vous inscrire à la newsletter sur le site : www.utopsy.fr

Prochaines rencontres prévues :

Lundi 8 décembre 2014 : Mireille Battut, présidente de l’association La main à l’oreille
Lundi 5 janvier 2015 : Pierre Kammerer, psychanalyste, auteur de L’enfant et ses meurtriers : Huit psychanalyses en CMPP (Gallimard, 2014)
Lundi 26 janvier 2015 : Christophe Chaperot, psychiatre psychanalyste, chef de secteur à Abbeville autour de son livre Formes de transfert et schizophrénie (Toulouse, Erès, coll : Des travaux et des jours, 2014)
Lundi 9 mars 2015 : Alain Gillis, psychiatre et phénoménologue, autour d’une introduction à la clinique phénoménologique
Lundi 27 avril 2015 : Pascal Crêté, psychiatre à Caen
Lundi 18 mai 2015 : Valentin Schaepelynck, autour des mouvements d’analyse institutionnelle et de la pédagogie institutionnelle

Et en 2015 nous accueillerons aussi Alain Badiou, François Pain, Pierre Dardot et Christian Laval (nous vous communiquerons les dates prochainement) ...



SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
Habillage visuel © Gornety based on an idea from AA Studio sous Licence Creative Commons Attribution 2.5 License