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Témoignage d’une élève de Pierre Delion

mardi 1er avril 2014, par Alexandra de Séguin

Témoignage d’une élève de Pierre Delion
commentaire du livre Mon combat pour une psychiatrie Humaniste 

La rencontre

Pour illustrer en quelques mots notre rencontre, je dirais que j’ai eu l’heureux hasard de choisir Lille pour mon internat de psychiatrie. En effet je n’avais pas obtenu Paris lors du concours national classant que passe tous les étudiants en médecine à la fin de leur 6eme année. Mon désir d’être psychiatre était déjà ancien, née de la rencontre de la psychanalyse notamment à la lecture de Françoise Dolto adolescente.

Rapidement engagée au collectif des 39, pour défendre ce que nous nommons une psychiatrie humaine, des copains internes, la bande d’Utopsy, m’encouragent à te rencontrer et à aller travailler comme interne dans ton service.

Nous sommes en mai 2010 quand je débarque dans le service, dans l’unité boycottée par les internes  : l’unité Pierre Male qui accueille tous les enfants rejettés de la pédopsychiatrie du Nord-Pas-de-Calais. Unité d’une quinzaine de lit et donc désectorisée. Ce semestre dans cette unité a été très dure, cependant à cause du boycott tu avais proposé que tous les internes puissent aller respirer quelques demi-journées dans les CMP de l’intersecteur. Ce qui d’une part correspond à la réalité clinique de tes praticiens hospitaliers mais d’autre part permet de former les internes à l’accueil en CMP. Je profite d’être seulement à un étage de ton bureau et de sa porte toujours ouverte lorsque tu n’es pas entretien ou en réunion pour te rendre souvent des visites et avoir des discussions très variées sur la clinique, la psychiatrie actuelle, l’état du service, la politique etc. Rapidement une amitié se crée et je commence à cogiter sur un sujet de thèse qui pourrait nous intéresser tous les deux. A l’époque l’unité Pierre Male accueillait les packing pratiqués dans le cadre du PHRC (protocole hospitalier de recherche clinique) et ceux de l’intersecteur quand ils ne se faisaient pas à Mosaïque, l’hôpital de jour pour enfant autiste. Je rencontre Céline Lallié et Maud Ravary qui deviennent des alliées pour supporter les problèmes institutionnels et la clinique très éprouvante. Évidemment je me mets à faire du Packing, je prends rapidement conscience que je me trouve devant un outil clinique formidable dans la prise en charge de l’autisme, la psychose infantile et la psychose adulte.

Je décide de faire ma thèse de psychiatre sur le Packing, tu es évidemment d’accord pour en être le superviseur et je transforme alors mon internat en un voyage assez extraordinaire avec pour fil rouge le Packing. Je vais alors faire du packing dans ton service pendant 2 années, entrecoupée par une année en psychiatrie adulte à Lens où un psychologue, Arnaud Mineur me demande de l’aider à instaurer ce soin dans son service. Tu acceptes chaleureusement de devenir le superviseur de cette équipe.

J’ai donc été à tes côtés de 2010 à 2013, les années où tu as subit les attaques que nous connaissons et tu relates dans ce dernier livre co-écrit avec Patrick Coupechoux .

1ère partie la psychiatrie adulte

Pour une jeune praticienne, ce livre a de remarquable qu’il permet au lecteur de s’identifier à tes expériences cliniques et institutionnelles et de sortir de la dépression qui accable tout praticien engagé dans sa clinique aujourd’hui avec les moyens et le contexte politique que nous connaissons.

Actuellement je travaille comme praticien hospitalier en secteur adulte. Je considère que je n’ai pas vraiment eu de bonne formation à la psychopathologie adulte durant mon internat. Dans les service adulte j’ai quasiment fait de la psychiatrie de contrebande. J’ai travaillé dans des secteurs hospitalo-centriques, loin de la psychothérapie institutionnelle et du désaliénisme.

Tes exemples cliniques, tes ratages et tes descriptions des angoisses psychotiques que nous font vivre nos patients nous donnent quelques clés quant à l’accueil de ces angoisses et comment le portage à plusieurs est nécessaire pour les contenir. L’exemple du « faire avec  » que tu développes pour mettre au travail les équipes et leur faire accepter tranquillement des changements dans leurs pratiques par la confiance est un rappel capital pour tout psychiatre de secteur.

Patrick et toi, permettez au lecteur de visiter ou de revisiter les concepts, les appuis théoriques de la psychothérapie institutionnelle et du travail de secteur  : le transfert dissocié, la constellation transférentielle, le club thérapeutique, l’articulation entre l’intra-hospitalier et des lieux de soins dans la cité.
L’hôpital qui est dit-on, aujourd’hui, nécessaire pour les moments aiguës ou de crise uniquement alors que nous savons tous que certains patients auront besoin de soins intra-hospitalier de nombreuses années.
Cette idée de « qui peut le plus peut le moins  » image parfaitement en quoi si un secteur met tout en œuvre pour accueillir de façon humaine les patients les plus malades c’est à dire la psychose, de surcroît les névrosés trouveront leur place dans un tel dispositif pour également être soigné comme tout citoyen qui a le droit aux soins du service publique. Pourquoi un névrosé ne se sentirait pas bien d’aller tenir le bar du club thérapeutique de son secteur ou de participer à l’écriture d’un journal au cattp ce qui pour certains serait peut-être plus opérant qu’une psychothérapie classique sur un divan  ? Ou pourquoi pas les 2  ?

Au passage nous avons un rappel de l’histoire de la psychiatrie de Pinel, Pussin et leur traitement moral, des asiles à la création des hôpitaux psychiatriques, le courant psychanalytique versus le courant lésionnel et le scientisme, les 45 000 patients morts de faim dans les hôpitaux pendant la seconde guerre mondiale, l’expérience de saint-Alban, Tosquelles et Oury puis la création du secteur. Les exemples et citations sont multiples et disséminés de façon subtile tout au long de votre livre. Ils suivent également ton parcours, celui de 40 années de travail en psychiatrie.

Nous cheminons à tes côtés, pour ceux qui ne seraient pas encore convaincu qu’une analyse personnelle est nécessaire si ce n’est salutaire pour soi et pour ses patients. Le passage à l’acte de ton patient psychotique, Norbert qui t’étrangle dans ton bureau alors que tu jouais au psychiatre compatissant qui n’avait pas éprouvé lui-même le transfert est une belle piqûre de rappelle. Tu as d’ailleurs eu droit à ton rappel quelques années plus tard à La Borde « Et Pierre  ! Tu te souviens de moi  ? J’ai failli t’étrangler à Angers  ». Une chance qu’il est étranglé Pierre Delion, le patient se retrouve à La Borde, s’il avait essayé avec d’autres il aurait atterri en UMD  !

La psychanalyse est dans ce sens un outil et non un protocole qui garantie le soin à ceux pour qui c’est suffisant et exclus les autres jusqu’à l’abandon dans la rue. Tu dénonces ce que tu nommes en écrivant « les psychanalyticoïdes  » ou oralement « les lacanoïdes  » qui ont fait le jeu de la guerre antipsychanalyse que mènent certaines associations de parents d’enfants autistes actuellement. Je rappelles qu’aujourd’hui dans notre hémicycle se vote la motion du député Fasquelles qui fait parti des détracteurs du packing qui s’acharnent sur toi depuis de nombreuses années maintenant. Motion qui si elle est adoptée, fera naître une science d’État, un état qui interdirait la psychanalyse comme outil de soins pour les patients autistes. On ne peut que déplorer que dans une démocratie ce type de motion puisse être validée. C’est une attaque aux libertés des soignants de choisir ses outils de soins et aux libertés des patients et de leur famille d’avoir également le choix de telle ou telle approche voire de les associer. Il est évident, comme tu le dénonces très bien à la fin de ce livre que l’approche psychanalytique de l’autisme disparaîtra très rapidement si les pouvoirs publiques l’interdisent. Qui prendra le risque de pratiquer  ? Qui trouver pour se former  ? Des colloques sur le packing ont déjà été annulé grâce à l’acharnement de certains. La peur accable déjà la pédopsychiatrie depuis 2012 avec les fameuses recommandations de la HAS et l’autisme.

Vous décrivez les outils qui ont été les tiens pour soigner la psychose en psychiatrie adulte puis l’autisme et les troubles envahissant du développement en pédopsychiatrie. C’est le collectif qui lorsqu’une vraie analyse institutionnelle est possible soigne ces patients. Le collectif ça signifie que ce n’est pas que les psychologues ou les psychiatres qui portent le transfert. Depuis quand le transfert respecte les statuts  ? C’est une vision bien déshumanisante de l’Homme qui arrange surtout les psychiatres pour faire valoir la hiérarchie et poursuivre l’aliénation sociale à laquelle nous sommes tous soumis aujourd’hui. Cependant les patients ne s’y trompent pas, aujourd’hui ce sont bien les psychiatres qui ont le pouvoir pour le meilleur et beaucoup pour le pire.

2eme partie la pédopsychiatrie

Après 10 ans en psychiatrie adulte tu choisis finalement de prendre la chefferie en 1985 au Mans. Vous nous relatez ton parcours et comment tu arrives à construire un service de psychothérapie institutionnelle en pédopsychiatrie. La fonction Club est portée par le groupe journal, les réunions soignants soignés où tu décris parfaitement en quoi les espaces où se côtoient les patients autistes sévères, qui bien souvent n’ont pas accès au langage et les patients psychotiques se mettent à parler pour ceux qui ne parlent pas. Ce qui permet de faire naître des rencontres et des projets thérapeutiques inédits  : l’exemple de la fabrication d’un vélo suggéré par un jeune patient psychotique pour un jeune patient autiste est très enthousiasmant. Il image parfaitement la fonction soignante que peut prendre les patients les uns pour les autres et ceux quelques soit leurs âges. De telles rencontres vont se raréfier dans une époque où se spécialiser dans tel domaine de la psychiatrie est à la mode et recommandé.

Nous arrivons à ta nomination à Lille et à la description de ce que tu as réussi à mettre en place dans un service que je connais bien. Et là je suis désolée de faire parler la psychiatre qui retrouve son paradis perdu mais je ne peux que témoigner que ce que tu décris est assez proche de mon vécu. En 4 semestres j’ai exploré  : l’unité Pierre Male d’hospitalisation à temps complet, pas sans peine, proche du burn-out parfois  ! L’Odyssée, l’HDJ pour adolescent, Mosaïque, l’HDJ pour enfant de 4 à 7 ans accueillant le CATTP pour les 8-11 ans. Et 2 CMP sur les 3 existant de l’intersecteur. A chaque fois je suis restée une année complète notamment sur les CMP ce qui m’a valu un accueil très chaleureux par tes équipes car si 1 an auprès d’un patient c’est très peu, c’est un temps qui permet de tisser des liens avec une équipe. Je n’étais qu’interne mais j’étais je crois assez engagée dans le travail pour éprouver quelques difficultés qui sont aujourd’hui mon quotidien dans mon travail de psychiatre de secteur. Tu me l’as souvent dit  : « oui notre travail, accueillir la folie, c’est très éprouvant, nous faisons un métier difficile  ». Est ce que ce service gigantesque à Lille était un service de psychothérapie institutionnelle, je ne sais pas, mais est ce qu’on faisait de la constellation transférentielle oui  ! Les réunions étaient de vrai espace de travail où chacun était libre de parler de ce qu’il ressentait avec les patients, tous les acteurs auprès d’un patient étaient invités à cogiter sur les prises en charge. J’ai vu débarquer des psychologues ou des orthophonistes libéraux, j’ai vu des ASH prendre la parole en réunion, j’ai vu des secrétaires participer aux repas thérapeutiques des patients, j’ai vu que ma parole était l’égale des autres soignants. Lorsque je présentais des situations cliniques devant 10 à 30 personnes, jamais je n’ai senti de regard condescendant sur la jeune praticienne que j’étais, et qui accueillait seule dans sa consultation - et pour la première fois de sa vie - un enfant et sa famille. J’ai évidemment compris que tout ça c’était l’ambiance qui le permettait. Une ambiance que tu venais soigner en venant voir régulièrement les équipes pour accueillir leurs angoisses autour de situations difficiles. A force de te voir faire et avec le recul que j’ai aujourd’hui je tenterais de résumer tes interventions comme un réel soutien des équipes. Tu accueillais l’angoisse, à ta manière tu disais à l’équipe qu’ils faisaient bien leur boulot et tu les encourageait à continuer. Tu n’as jamais cédé sur la qualité des soins que l’équipe se devait de garder pour les patients. Et pourtant les listes d’attentes s’allongeaient et de plus en plus  ! J’ai moi même observer qu’entre 2010 et 2013 elles se sont agrandies et avec des situations de plus en plus lourdes au regard de la dégradation sociale qui se poursuit à une vitesse toujours plus grandissante.
J’ai appris avec tes équipes quelques fondamentaux. Par exemple comment accueillir la souffrance sociale  ? Beaucoup de psychiatre ne s’encombrent pas de ça , « je suis psychiatre je suis pas assistante sociale  !  », un jour tu as dit en réunion  : « Comment voulez vous qu’un gamin dont les parents sont au chômage depuis 2 voire 3 générations ait autre chose dans la tête que ce problème  ? « papa chômage  ! maman chômage  ! Évidemment que, pour le soignant qui porte psychiquement ce gamin, il va devoir mettre la casquette d’assistante sociale pendant un temps suffisamment long pour que ce gamin soit un peu plus en sécurité pour venir vous déposer autre chose que ses problèmes sociaux  ». Bon aujourd’hui je peux dire que si dans son service on a pas tout de même une assistante sociale pour nous aider à démêler et à porter ensemble les patients, on est tout de même un peu dans la panade  ! Et on ne les remercie pas assez du boulot remarquable qu’ils et elles font dans nos services.

Enfin tu racontes la guerre de religion dont tu as fait les frais concernant le packing. Et malheureusement j’ai vu à quel point cela peut plonger un soignant dans la souffrance, j’étais d’autant plus dans la tempête que j’écrivais ma thèse sur le packing  ! Thèse que je n’ose plus soumettre à la publication car même si mes défenses paranoïaques sont très peu élevés j’ai tout de même le fantasme de subir des représailles très dangereuses.

Conclusion

En conclusion je pourrais te dire  : Tu aurais pu aussi bien intituler ton bouquin « petit guide pratique aux jeunes soignants en psychiatrie qui désirent travailler en équipe et accueillir les patients psychotiques et autistes  ». Je vous remercie Patrick et toi pour votre travail formidable. Ce livre doit impérativement être diffusé le plus largement possible dans les institutions, aux patients, aux familles et au grand public pour défendre nos pratiques.

Sarah Gatignol



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