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Mireille Battut

dimanche 7 décembre 2014

Chers utopsystes,

La prochaine séance d’utopsy se déroulera le lundi 8 décembre à 20h30 au 27 rue des bluets (métro Ménilmontant ou Père-Lachaise). Nous aurons le plaisir d’accueillir Mireille Battut, présidente de l’association la main à l’oreille, association créée par des parents et amis de personnes autistes, avec pour objectif de "promouvoir une approche qui prenne en compte leur subjectivité et accueille leurs inventions" (voir le site de l’association : https://lamainaloreille.wordpress.com ).

Avec plusieurs autres associations de personnes autistes, de familles et de proches, la main à l’oreille a cofondé récemment le RAAHP, "Rassemblement pour une Approche des Autismes Humaniste et Plurielle" dont un des objectifs est de participer à l’élaboration de la prochaine recommandation de la HAS pour les autistes adultes.

Mireille Battut est l’auteur de nombreux textes, tant de témoignage de sa propre expérience de mère que d’analyse critique des enjeux politiques qui sous-tendent les événements actuels concernant l’autisme.
Le travail de Mireille Battut est un enrichissement irremplaçable pour les cliniciens de l’autisme (et les autres) comme pour ceux qui souhaitent penser le moment politique actuel ; elle l’est pour tout un chacun par la réflexion qu’elle entraîne sur la norme, ses marges et ses aléas.
En vous espérant nombreux à cette soirée,

Loriane Brunessaux Bellahsen pour Utopsy.
wwww.utopsy.fr

Voici quatre textes de Mireille Battut :
- La mémoire des jambes
https://lamainaloreille.wordpress.com/2014/05/18/la-memoire-des-jambes-par-mireille-battut/
- lettre à la ministre Marie-Arlette Carlotti
http://lamainaloreille.wordpress.com/3eme-plan-autisme/
- en pièce jointe à ce mail : "Mère d’enfant autiste : plutôt coupable qu’ABA"
- ci-dessous : texte présenté au colloque d’Evian lors de la création du RAAHP :

Evian, le 19 septembre 2014

Je viens aujourd’hui avec trois cailloux dans mes poches, que je vais déposer devant vous : l’invention, le radeau, le rassemblement

A La main à l’oreille, nous misons sur l’invention.
Notre blog lamainaloreille.wordpress.com en témoigne, qui se construit, jour après jour, de bouts de ficelle, d’épines, de cailloux du chemin, de ces petits riens, ces pépites qui font la vie, mais aussi de remises en cause, de défis et d’énigmes auxquels nous confronte notre rencontre avec l’autisme. Nous les publions. Voici celle d’aujourd’hui. J’ai demandé à son auteure la permission de le lire devant vous.
Les inventions d’un père, par Aurore, maman d’Eliott 4 ans
Je suis celle qui « gère ». La paperasse, le tempo des rendez-vous, les allées et venues, CMP, école, les combats administratifs…. Dans mon quotidien parfois lourd, il y a aussi de grands moments de poésie, où le temps s’arrête, où le sublime est là.
Eliott a une stéréotypie toute particulière, il fait tourner son bras droit depuis son épaule comme un grand moulin, le bras est raide et droit comme un « i ». Et il tourne, il tourne jusqu’à s’en décrocher le membre. Il le faisait machinalement, sans expression sur son visage. A part un rictus figé, les dents serrées.
Son papa a eu une brillante idée, il lui a commandé un bâton de GRS, ces bâtons de gymnaste avec un long ruban bariolé. Eliott l’a investi immédiatement, il nous a fait des ronds, des vrilles, de longues trainées multicolores derrière lui dans le ciel. La différence c’est que son visage s’illuminait de plaisir, dans un grand sourire rehaussé de ses yeux pétillants.

Chaque fois qu’il en avait besoin, il prenait son ruban. Puis le jeu a évolué, il nous sollicitait pour que l’on prenne l’autre bout du ruban. Lui, menait la danse, il avait le bâton et nous, nous devions tenir la fin, le bout du ruban. Il nous emmenait ainsi jusqu’au fond du jardin en courant, et prenait plaisir en se retournant de voir si, nous étions toujours « accrochés » à lui. Il riait, laissant derrière lui son bel arc en ciel virevolter.
Sa stéréotypie a disparu d’elle-même, même si ce n’était pas le but. Il préfère maintenant, prolonger le lien avec nous en courant avec son ruban et nous au bout. Une sorte de grande liberté rassurante. Un grand moment ludique et si important. Eliott est avec nous.
***
Je trouve ce texte merveilleux. Il évoque en moi les boucles du chemin que nous aimons à inventer, avec mon fils Louis, quand je le conduis le matin, la main qu’il me prend pour me conduire à son tour.
Le radeau
En ce moment, nous échangeons, entre parents de l’association, autour des événements qui accompagnent la rentrée scolaire, pour nos enfants dits autistes, comme pour ceux qui ne le sont pas.
Vivre avec l’autisme, c’est accepter de ne pas avoir toutes les réponses, c’est aussi recevoir parfois en pleine figure les questions, comme des paquets d’eau. Il y a une phrase de Fernand Deligny qui m’accompagne, dans ces circonstances : « Un radeau, vous savez comment c’est fait : il y a des troncs de bois reliés entre eux de manière assez lâche, si bien que, lorsque s’abattent les montagnes d’eau, l’eau passe à travers les troncs écartés. C’est par là qu’un radeau n’est pas un esquif. Autrement dit, nous ne retenons pas les questions. Notre liberté relative vient de cette structure rudimentaire dont je pense que ceux qui l’ont conçue — je veux parler du radeau - ont fait du mieux qu’ils ont pu, alors qu’ils n’étaient pas en mesure de construire une embarcation. ».
Nous avons appris à ne pas retenir les questions, à tenir et aimer par les liens qui nous relient, à vivre pleinement dans la liberté relative que notre monde contemporain nous laisse encore.
C’est dans un climat d’intimidation, de listes noires, qu’est née « La main à l’oreille ». Mais elle est née d’un désir, et ne se place pas en miroir des associations virulentes. Notre désir est de construire, à partir de nos antennes régionales, des espaces qui répondront aux multiples besoins des familles : accueil, espaces de rencontres, activités artistiques, loisirs, répit pour les familles, lieux de vacances, préparation à l’autonomie, etc. Nous avons fait valoir notre sensibilité auprès du ministère, au sein du Conseil national de l’autisme et nous proposons de travailler en confiance avec les institutions qui accueillent nos enfants, qu’elles relèvent du sanitaire, du médico-social ou de l’éducation nationale. Nous souhaitons être des partenaires responsables auprès des autorités régionales de santé, des maisons du handicap, des centres de ressources autisme… Nous animons des groupes parents dans les centres d’accueil sectorisés, des instituts, des hôpitaux de jour, des centres d’animation, des maisons des parents, … et aussi, nous essayons d’aider les familles dans leurs démarches administratives épuisantes face au manque dramatique de structures d’accueil. Par-delà notre quotidien pas toujours rose, nous voulons constituer des endroits où il fait bon vivre.
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Le rassemblement
Nous sommes en vacances à Toulon. J’échange par mail, depuis plusieurs jours, avec Patrick Sadoun et d’autres amis autour de la préparation de ce colloque. Depuis plusieurs jours, Georges nous parle du feu d’artifice que nous avons coutume de regarder de nos fenêtres, chaque 15 août. Cette année, c’est décidé, nous irons en famille sur le lieu de la manifestation au Fort du Mourillon. Je m’interroge cependant. Et Louis ? Je redoute qu’il ne soit paniqué par les pétarades et la foule. Qui sait ce qu’il pourrait se passer ? Il vaut peut-être mieux que je reste à la maison avec lui.
Le moment tant attendu par Georges arrive. En regardant les préparatifs de départ, Louis manifeste qu’il veut sortir. Il a raison. Nous irons, à pied.
Nous avançons dans la nuit doucereuse. C’est une sensation enveloppante et tiède, que Louis aime tout particulièrement. Il faut longer d’abord le long mur de l’ancienne corderie devenue DCN. Les deux enfants tiennent chacun la main d’un adulte. Georges tire en avant, impatient d’arriver pour ne rien rater du spectacle. Louis a calé son pas sur celui de la foule. Il a sorti ses radars pour sentir la matérialité de la distance entre les corps en mouvement au balancement rythmé. Je vois qu’il a décidé d’aimer ce moment. Je reconnais en lui des sensations que j’ai moi-même éprouvées la première fois que je me suis jointe à une manifestation sur le pavé parisien. Battre le pavé. Une transmission. Je ressens ce plaisir partagé à la confiance de sa main dans la mienne.
Nous arrivons à l’entrée de l’avenue qui mène au lieu du rassemblement. Des motards de la police en protègent l’accès. Une fois passé le cordon, la foule accélère, les pas se précipitent, l’excitation gagne. C’est plus dense, et parfois un corps dévie, cogne sans le faire exprès. Nous arrivons. La foule se masse devant le fort. Compacte. Plus à gauche, cependant, nous repérons un porche bien protégé. Nous décidons de nous y asseoir pour attendre. Jusqu’ici Louis a tenu, mais maintenant que nous sommes à l’arrêt, il commence à jeter autour de lui des regards inquiets. Je connais cela : il cherche une diagonale de fuite. Bientôt ce sera l’échappée belle. Nous l’avions pressenti. « Tu veux rentrer Louis ? ». Il était convenu que je le ramène à sa demande. Rien ne le force à aimer les rassemblements.
Louis est content. Il me guide sur le chemin du retour. Je le sens d’humeur vagabonde, il sautille entre les plots du trottoir et les tables en terrasse des restaurants. Il frôle le serveur du bar et dit bonjour aux clients attablés. Tout en veillant au grain – Louis est un chapardeur patenté – je me surprends à penser qu’il est plus intéressant de marcher à contrecourant que de gober bouche ouverte un spectacle convenu... Les premiers pétards explosent pile au moment où nous atteignons le cordon des motards de police. Alors, je propose à Louis de se retourner, juste l’instant de voir.
Touché ! Louis a maintenant l’œil vissé à l’horizon où se succèdent les bouquets d’explosions en cascades bariolées. Nous avons refait le trajet sans regarder nos pieds une seule fois. Je lui propose de nous arrêter à l’entrée, mais il veut retrouver le porche où le reste de la famille et son frère Georgessont stationnés. Je suis émue qu’il manifeste ainsi son désir de procéder au regroupement familial.
Alors voilà. Un ruban de GRS, un radeau, un feu d’artifice. Ca n’est pas commun. Qu’avons-nous de commun ? Rien. Qu’avons en commun - c’est-à-dire en partage ? Beaucoup. Ceux qui ont l’autisme en eux, ceux qui vivent avec l’autisme, ceux qui ont rencontré l’autisme, et qui en ont été transformés, définitivement, sans retour possible. L’autisme a changé nos vies. Voilà notre légitimité. Voilà ce qui nous rassemble.
Mireille Battut.

Prochaines rencontres prévues :

Lundi 5 janvier 2015 : Pierre Kammerer, psychanalyste, auteur de L’enfant et ses meurtriers (Gallimard, 2014)

Lundi 26 janvier 2015 : Christophe Chaperot, psychiatre psychanalyste, chef de secteur à Abbeville autour de son livre Formes de transfert et schizophrénie (Toulouse, Erès, coll : Des travaux et des jours, 2014)

Lundi 9 mars 2015 : Alain Gillis, psychiatre et phénoménologue, autour d’une introduction à la clinique phénoménologique

Lundi 27 avril 2015 : Pascal Crêté, psychiatre à Caen

Lundi 18 mai 2015 : Valentin Schaepelynck, autour des mouvements d’analyse institutionnelle et de la pédagogie institutionnelle

Et en 2015 nous accueillerons aussi Alain Badiou, François Pain, Pierre Dardot et Christian Laval (nous vous communiquerons les dates prochainement) ...



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