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dimanche 1er mai 2011
Pour la prochaine rencontre, nous aurons le plaisir d’inviter le lundi 9 mai à 20h30 Pierre DARDOT, philosophe et auteur avec Christian Laval de « La nouvelle raison du monde, essai sur la société néolibérale », publié à la Découverte en 2009.
Présentation
Dans leur ouvrage, Dardot et Laval analysent les modifications du capitalisme et voient dans le passage du libéralisme au néo-libéralisme, l’avènement d’une nouvelle rationalité où la question centrale n’est plus de « laisser-faire » (Adam Smith) mais bien de « conduire les conduites » des hommes, en créant un cadre normatif propice au développement de la concurrence.
Après une analyse politique, historique et philosophique s’appuyant notamment sur les outils foucaldiens comme « la gouvernementalité », les auteurs définissent un nouveau processus de subjectivation où les individus intègrent eux-mêmes la normativité concurrentielle, chacun devenant « auto-entrepreneur » de lui-même, ce qu’ils définissent comme étant la fabrique du « sujet néo-libéral ».
S’appuyant sur cette analyse politique, les auteurs développent une pensée critique pour sortir des alternatives proposées par l’antilibéralisme classique, où nombres de partitions sont devenues inopérantes pour analyser les enjeux du monde contemporain (notamment la partition entre l’Etat et le Marché, entre le public et le privé). Pour ce faire, Dardot et Laval étudient les questions amenées par Marx, s’extirpant par là des définitions imposées par le marxisme orthodoxe, véritables « obstacles à la pensée » qui plutôt que de s’affronter à un « champ de questions » élaborent des « réponses définitives sur le sens des mots » (Cités 2010/3, n° 43).
Présentées comme « naturelles » ou « allant de soi », Dardot et Laval montrent que ces normes peuvent être considérées comme des constructions politiques, d’autant plus efficaces qu’elles ne peuvent être remises en cause qu’après une analyse minutieuse. Dès lors, comment mettre en perspective le « pouvoir de la norme » ?
C’est du côté des « communs », en tant que ces derniers sortent du cadre de pensé imposé par le néolibéralisme, qu’une politique d’émancipation pourrait se recréer. L’enjeu est bien d’avancer dans un constructivisme à même de fonder une politique des communs : « La théorie des communs permet de souligner le caractère construit des communs. Rien ne peut laisser penser qu’un commun pourrait fonctionner sans règles instituées, qu’il pourrait être considéré comme un objet naturel. »
Inventer des outils pour penser le monde contemporain, sortir des positions orthodoxes pour affronter les nouveaux agencements problématiques, mettre en acte une praxis émancipatrice : cette analyse des nouvelles figures de l’aliénation sociale n’a-t-elle pas de grandes résonances avec ce qui se joue pour nous dans la clinique quotidienne avec la folie ?
Ainsi, comment questionner les orthodoxies de tous poils qui prétendent diriger nos actes explicitement ou implicitement ? Aux politiques d’émancipation pourrait-il correspondre des cliniques émancipatrices ?
Rappel des épisodes précédents
L’an passé, Yves Clot et Samuel Lézé, nous ont tous deux commentés le rapport du Centre d’Analyse Stratégique remis à N. Kosciusko-Morizet « La santé mentale, l’affaire de tous ». Ce rapport, en pointe dans la redéfinition du champ psy et dans l’avènement du « santé-mentalisme », nous obligent à questionner le cadre normatif qui tente de s’imposer par des entités « naturelles » comme « le bien-être », « la qualité de la vie », « la souffrance au travail », « la santé mentale positive » etc.
Ces nouvelles normes nous ont été décrites par Y. Clot comme un « hygiénisme rénové » tandis que S. Lézé y voyait une entreprise de dépossession de la problématique même de la « santé mentale » qui en devenant « l’affaire de tous » n’est paradoxalement plus celle des psys, concourant ainsi à délégitimer toute une série de pratiques inventives.
Par ailleurs, les mots employés sont révélateurs : si le terme de « santé mentale » fut à une époque porteur d’une ouverture dans le champ psychiatrique, il est désormais un mot récupéré et « occupé » par la rationalité dominante, tout comme les mots d’usagers, de déstigmatisation etc.
Perspectives et lignes de fuite
Dès lors, comment penser une clinique fondée sur un autre type de processus de subjectivation qui porterait en son sein la question du désir inconscient articulé à un « agir en commun » émancipateur ? Comment se nourrir des réflexions sur le commun pour articuler une praxis clinique qui serait émancipatrice et s’articulerait autour d’un agir commun. « Une politique des communs [nécessite] d’inventer des normes de l’action qui permettent de faire fonctionner un commun » précisent les auteurs.
De fait, les conditions du renouvellement de la pensée critique se précisent, à mesure que se créent des outils, des concepts et des pratiques pour penser le monde et agir sur lui. Du côté de la clinique, cela nous a été amené par nos premiers invités de l’année : Christophe Chaperot, Guy Dana et Paul Brétécher.
Comment repenser les apports fondamentaux développés par la psychanalyse à partir du transfert et par le mouvement de psychothérapie institutionnelle en termes de collectif et de pratiques instituantes ?
Si la psychothérapie institutionnelle travaille l’articulation entre aliénation sociale et aliénation psychopathologique, entre marxisme et psychanalyse, penser la contemporanéité en mettant à jour les questions posées par Marx tout en se détachant de son orthodoxie, nous semble fondamental.
« Seul l’acte d’instituer les communs fait exister les communs » précisent Dardot et Laval. N’est-ce pas là poser la question du processus d’institutionnalisation et de l’analyse institutionnelle (Oury), là où l’ouvert de l’instituant est en proie aux tentatives de fermetures de l’institué ?
Mathieu Bellahsen et Loriane Brunessaux pour UTOPSY
Bibliographie
Ouvrages
Pierre Dardot et Christian Laval, La nouvelle raison du monde, Essai sur la société néolibérale, collection La Découverte poche, La Découverte, 2010.
Pierre Dardot, Christian Laval et El Mouhoub Mouhoud, Sauver Marx ? Empire, multitude, travail immatériel, La Découverte, 2007.
Articles : disponibles sur CAIRN : www.cairn.info
Mouvements 2007/2 (n° 50), Pierre Dardot et Christian Laval, La nature du néolibéralisme : un enjeu théorique et politique pour la gauche
Cités 2010/3 (n° 43), Christian Laval et Pierre Dardot, Entre communauté et association
Revue du MAUSS 2010/1 (n° 35), Pierre Dardot et Christian Laval, Du public au commun
Cités 2010/1 (n° 41), Pierre Dardot et Christian Laval, Néolibéralisme et subjectivation capitaliste
Mouvements 2005/2 (no 38), Pierre Dardot, À propos de la multitude
Séminaire collectif : « Du public au commun » http://www.dupublicaucommun.com/
Pour visionner la vidéo de l’intervention : http://vimeo.com/29922347
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